L’histoire des vignes interdites en France
Savez-vous que 6 cépages sont interdits en France depuis 1935 ? Ils furent accusés de rendre fous leurs consommateurs. En réalité, il s’agissait d’une ruse pour contrecarrer la surproduction viticole en ce début de XXe siècle. Voici l’histoire des vignes interdites.
La crise dévastatrice du phylloxéra
Pour comprendre l’interdiction de certaines vignes en France, il faut remonter à l’époque de la crise dévastatrice du phylloxéra. Vers le milieu du XIXe siècle, les viticulteurs français ont introduit diverses variétés de raisins en provenance de la côte est des États-Unis et du Canada dans le but de les croiser avec des variétés européennes, espérant ainsi créer de nouvelles variétés de raisins de cuve.
Malheureusement, un passager clandestin s’invita à bord des navires transportant les vignes d’un continent à l’autre : un puceron appelé à l’époque phylloxera vasatrix et désormais connu sous le nom de Daktulosphaira vitifoliae.
Contrairement aux vignes nord-américaines ayant naturellement développé des défenses immunitaires contre ce puceron, les vignes européennes furent dévastées par le parasite, depuis le début des années 1860 jusque vers 1885.
Le puceron profita aussi de la multiplication des échanges commerciaux pour s’attaquer à d’autres zones jusque-là épargnées par le phylloxéra : Afrique du Sud, Nouvelle-Zélande et Australie notamment.
La stratégie des greffes pour sauver les vignes françaises
La seule solution à ce désastre fut la greffe dont le concept était simple : des porte-greffes américains porteraient des ceps européens. La racine était ainsi saine (car le puceron s’attaque aux racines pour sucer la substance de la vigne) et naturellement armée contre le parasite porteur du phylloxéra.
La stratégie fonctionna à merveille et les vignes retrouvèrent leur place dans nos vignobles. Toutefois, au début du XXe siècle, les vignerons devinrent victimes de leur succès, avec plus d’un tiers de la surface viticole française composée de vignes hybrides américaines.
Surproduction et interdiction des vignes interdites
La France se retrouva dans un marché viticole totalement saturé et des cours qui s’effondrent, avec une surproduction impossible à gérer. Pour limiter la quantité de vin produite, les autorités décidèrent d’interdire la culture des vignes hybrides et de ne conserver que les cépages dits « nobles ». Cette mesure était également favorable pour nos ceps autochtones, alors que les vignerons travaillaient sur l’amélioration de leurs variétés et étaient en train de développer des appellations devenues depuis prestigieuses.
Des vins qui rendent fous
L’interdiction des vignes s’inscrivait dans une stratégie commerciale, mais la raison officielle invoquée fut tout autre. « Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage », il fallait donc incriminer les cépages hybrides pour justifier leur éradication.
Il fut donc décrété que les vignes interdites produisaient des vins avec des taux de méthanol supérieurs à la moyenne et dont le goût apparaissait foxé, c’est-à-dire rappelant l’odeur du renard particulièrement désagréable. Pour ne pas tenter ceux qui envisageaient de contourner la loi, on dit alors que ces vins rendaient leurs consommateurs fous et aveugles.
La publication du décret contre les vignes interdites
Le 24 janvier 1935, l’administration française émit un décret d’application d’une loi interdisant « de vendre sur le marché intérieur, ainsi que d’acheter, de transporter ou de planter les cépages noah, othello, isabelle, jacquez, clinton, herbemont ». Cette même année vit la naissance de l’INAO, l’Institut National des Appellations d’Origine, qui confirmait la volonté de monter les vins français en gamme.
L’interdiction perdure aujourd’hui en France, comme dans tous les pays de l’Union européenne, avec le règlement (CE) n°479/2008 du Conseil du 29 avril 2008 portant organisation commune du marché vitivinicole.
Les cépages de vigne interdits
Six cépages hybrides américains sont toujours interdits en viticulture professionnelle. En revanche, les particuliers ne sont pas concernés, ce qui les rend libres de les vinifier pour leur propre consommation.
- Clinton, cépage hybride Vitis riparia x Vitis labrusca : raisins noirs à peau épaisse, aux arômes rappelant la framboise.
- Noah, cépage hybride Taylor (Vitis riparia x Vitis labrusca) x Vitis Riparia : raisins blancs très sucrés et très acides, dont les arômes évoquent la fraise.
- Isabelle, cépage hybride Vitis vinifera x Vitis labrusca : raisins noirs aux arômes framboisés.
- Jacquez, cépage hybride Vitis aestivalis x Vitis vinifera : raisins noirs aux arômes épicés de cassis.
- Othello, cépage hybride Clinton x Black Hamburg : raisins noir bleuté aux arômes foxés, souvent utilisé comme raisin de table.
- Herbemont, cépage hybride Vitis aestivalis x Vitis cinerea : raisins noir violacé foncé à peau fine, aux arômes de cassis.
Ces cépages hybrides sont issus d’une reproduction sexuée. Ils présentent l’avantage de résister naturellement à de très nombreuses maladies, dont le phylloxéra, le mildiou et l’oïdium.